Friday, September 29, 2006

Probo-Koala" : la mortelle errance d'un bateau-poubelle

LE MONDE 29.09.06 14h16 • Mis à jour le 29.09.06 14h23

Exaspérée autant qu'abasourdie, Abidjan ne croit plus à aucune explication du drame qui s'est abattu sur elle : ni aux analyses scientifiques de la pollution, ni aux dénégations politiques, encore moins aux discours sanitaires rassurants. Du quartier résidentiel de Cocody à celui, populaire, d'Akouédo, le premier des dix-sept sites de déchargement des déchets toxiques du navire Probo-Koala, le refrain est lancinant : "On nous a tellement menti qu'on ne croit plus à rien."Depuis l'accostage du pétrolier grec, le 19 août, et la dissémination de son contenu à travers la ville, des dizaines de milliers d'Abidjanais ont ressenti des symptômes allant des migraines à la gêne respiratoire, en passant par des vomissements et des éruptions cutanées. Officiellement, huit personnes, dont quatre enfants, en sont mortes. Le danger des boues répandues dans la ville a engendré une psychose, tandis que certains cercles du pouvoir accusent la France d'une machiavélique manoeuvre de déstabilisation. Une seule certitude demeure, partagée : tout le monde "a mangé" (en a profité). Cette certitude se double d'une conviction angoissée des citoyens de ce pays en guerre civile. "Si la Côte d'Ivoire sort de cette histoire dans l'impunité, cette fois, elle est finie", remarque un haut fonctionnaire de la santé.Depuis le 18 septembre, Claude Dauphin, le dirigeant de la compagnie de négoce international Trafigura, qui a armé le navire, et l'un de ses directeurs, Jean-Pierre Valentini, ont rejoint à la maison d'arrêt d'Abidjan les sept premiers inculpés ivoiriens. Leur nationalité française a été exploitée par des journaux ivoiriens comme une preuve supplémentaire de la responsabilité de Paris. Placés à l'écart des autres détenus dans des cellules individuelles, ils sont poursuivis pour "empoisonnement et infraction à la législation sur les déchets". Comment ce scénario de film catastrophe a-t-il pu se produire dans ce pays qui n'en avait vraiment pas besoin ? Au carrefour du scandale environnemental et de la chronique d'une corruption ordinaire, l'affaire du Probo-Koala est emblématique de ce début de siècle mondialisé et déréglementé.Le navire par qui le scandale est arrivé est un vraquier polyvalent transportant liquides et solides. Battant pavillon panaméen et loué à la compagnie grecque Prime Marine Management, voilà plusieurs mois qu'il sillonne les océans aux mains d'un équipage russe. Armé par Trafigura, grosse société de négoce en matières premières dont l'adresse fiscale est à Amsterdam, le siège social à Lucerne (Suisse) et le centre opérationnel à Londres, ce type de navire de 180 mètres de long est qualifié par l'association écologiste Robin des bois de "cauchemar environnemental". Après chaque déchargement, les cuves sont en principe lavées, notamment à l'aide de soude caustique, provoquant ainsi des déchets récupérés dans une citerne située au sein du bateau. Mais la diversité des produits transportés accroît les risques de réactions chimiques indésirables.Lorsqu'il accoste, le 2 juillet, au quai d'Afrique du port d'Amsterdam, le Probo-Koala vient d'effectuer une traversée transatlantique. Il a déchargé une cargaison d'hydrocarbures à Algesiras, en Espagne. Après son escale néerlandaise, il va en Estonie charger de l'essence destinée in fine au Nigeria. La citerne à déchets étant pleine, explique Trafigura, la compagnie cherche à s'en défaire auprès de la société spécialisée Amsterdam Port Services (APS). Ce 2 juillet, la totalité des déchets - les slops -, soit plus de 500 m3 de résidus d'hydrocarbures et divers composants chimiques, est déchargée sur une barge couplée au Probo-Koala, lorsqu'une puanteur inhabituelle se répand. La police des services d'environnement de la ville et les autorités portuaires interviennent.Un différend oppose alors les deux entreprises. "APS, chargée de la récupération du produit nous a demandé, de façon injustifiée, de payer un prix prohibitif de 1 000 euros le m3", assure Eric de Turckheim, directeur financier de Trafigura. APS dément et explique que "ces déchets n'étaient pas ceux annoncés avant l'arrivée du navire. Leur odeur révélait une pollution avancée. Nous leur avons dit qu'on pouvait les faire traiter, mais que cela coûtait plus cher".Les discussions durent deux jours. Trafigura dit avoir reçu une autre proposition - à 750 euros le m3 - d'APS. Toujours trop cher. A Londres, Paul Duncan, directeur de la logistique de Trafigura, décide de recharger les déchets sur le Probo-Koala. De mémoire d'APS, c'est une première. Trafigura se justifie par les coûts : une journée d'immobilisation supplémentaire au port, c'est 35 000 dollars ; une journée de location du navire, elle, coûte 250 000 dollars. La conséquence est claire : il faut décharger les slops ailleurs. APS et les services d'environnement du port d'Amsterdam laissent repartir le chargement suspect, mais en gardent 16 tonnes aux fins d'analyses et de garantie. La justice néerlandaise est aujourd'hui saisie des conditions dans lesquelles les autorités portuaires ont laissé partir ces déchets.S'il s'agissait des seuls résidus de fond de cale générés par le navire, pourquoi APS a-t-elle majoré le prix ? Si les autorités du port considéraient qu'il s'agissait de déchets toxiques, ceux-ci tombaient alors dans le cadre très contraignant de la convention de Bâle et nécessitaient un visa d'exportation. Or la seule injonction faite à ce moment-là est de décharger les déchets "au port suivant", sans s'assurer que celui-ci - le port de destination - possède les installations adéquates pour l'opération. "Qui nous dit que ces produits n'ont pas été chargés à Algesiras et que, pour des raisons financières, on a tenté de les soustraire à la convention de Bâle en les faisant passer pour des résidus de fond de cale ?", s'interroge Jacky Bonnemain, de l'association Robin des bois.Le 1er août, après un grand détour en Estonie et des escales aux Canaries et à Lomé (Togo), le Probo-Koala atteint Lagos (Nigeria), où Trafigura fait une nouvelle et vaine tentative de vidange."Les garanties de sécurité n'étaient pas réunies, assure la compagnie. Il est apparu que les prestataires locaux voulaient raffiner ces déchets pour vendre le stock en tant qu'hydrocarbures."Les logisticiens de Trafigura décident alors d'envoyer le Probo-Koala en Côte d'Ivoire. "C'est l'un des ports d'Afrique occidentale les mieux équipés", plaide le trader. Le site Internet du port autonome de la capitale ivoirienne ne mentionne cependant nullement cette donnée. Le 9 août, dix jours avant l'arrivée du navire en Côte d'Ivoire, une entreprise, "spécialisée dans la vidange et l'entretien des soutes de navire", décroche une autorisation du port pour "récupérer les huiles usagées et les résidus d'hydrocarbures afin d'éviter (...) le déversement accidentel". La Compagnie Tommy, c'est son nom, vient d'être créée et n'a jamais obtenu de contrat de ce type. Son directeur, Salomon Ugborugbo, actuellement incarcéré, est de nationalité nigériane.Tommy n'a ni les moyens ni les compétences pour faire le travail. Elle n'a obtenu du ministre des transports ivoirien qu'un agrément d'"avitailleur" (approvisionnement des navires), et seulement depuis le 12 juillet. Trafigura, qui dispose d'une filiale sur place, Puma Energy, affirme n'en avoir rien su.Le 17 août, deux jours avant l'arrivée du Probo-Koala, le trader londonien adresse un courriel à N'zi Kablan, administrateur général adjoint de Puma Energy, et l'avertit de la toxicité de certains composants de sa cargaison : "A cause de la forte concentration en mercaptan sulfuré, le mélange est très odorant et doit être débarqué et traité de façon à éviter toute conséquence sur l'environnement ou problème avec les autorités."Pour Trafigura, cela démontre bien qu'il s'agit de "résidus de fond de cale" classiques ayant entraîné un excès de mercaptan. Pourtant, les analyses réalisées le 21 août par le Centre ivoirien antipollution (Ciapol), deux jours après l'émanation des odeurs suspectes sur Abidjan, feront apparaître un tout autre résultat. "Il ressort, écrit le Ciapol, que cet échantillon s'apparente à du produit pétrolier (...) très proche de l'essence, avec une très forte teneur en hydrogène sulfuré, substance toxique pouvant, à forte dose, entraîner la mort immédiate en cas d'inhalation."L'équipe de la protection civile française dépêchée à Abidjan trois semaines après le déversement toxique n'a pas trouvé trace d'hydrogène sulfuré. "Ce gaz très volatil a pu disparaître dans l'intervalle", admet le responsable de l'équipe, qui mentionne les nombreux témoignages de la population sur l'"odeur d'oeuf pourri" très caractéristique de ce gaz.La société Trafigura a fourni, le 24 septembre, des analyses commandées par ses soins selon lesquelles "aucune trace" d'hydrogène sulfuré n'apparaît. "C'est de l'eau sale", avait-on dit aux chauffeurs des citernes qui déverseront le produit dans Abidjan. Tommy, spécialiste tout neuf de la "vidange", apparaît mieux informé. Le 18 août, son directeur adresse un message écrit à Trafigura précisant que, compte tenu de leur odeur et de leur composition, "un chimiste a conseillé de déverser les déchets chimiques dans un lieu éloigné de la ville - Akouédo - tout à fait apte à recevoir n'importe quel type de produit chimique". Akouédo est un quartier d'Abidjan. Très engageant, M. Ugborugbo assure qu'il "endossera toutes les responsabilités et assurera un bon travail". Son prix défie toute concurrence : 35 dollars le m3, soit vingt et une fois moins cher qu'à Amsterdam.Avec l'aide de la compagnie Tommy, des autorités portuaires et bientôt du district d'Abidjan (la municipalité), le Probo-Koala accoste presque en fanfare le 19 août : des policiers aux douaniers en passant par les services sanitaires, tous les "corps habillés" l'attendent sur le quai. Le bon de livraison remis aux chauffeurs qui vont répandre la mort se conclut par un encouragement : "Bonne route, et que Dieu vous bénisse."S'ouvre alors le versant ivoirien de l'épopée, où pointent les soupçons de corruption. Comment Tommy a-t-elle réussi à obtenir ses agréments ? "Tout s'est passé dans des délais record, très inhabituels", dit un familier du pouvoir qui voit dans les multiples courriers échangés "un scénario pour la galerie". "La corruption est si générale, ajoute-t-il, que tout, absolument tout, s'achète, même le droit de faire crever des gens."La tornade politique consécutive au scandale environnemental ne débute que près d'une semaine après le déchargement du navire. Pendant six jours, la population ignore d'où proviennent les symptômes dont elle souffre. Au pire moment de l'exposition aux gaz, aucune précaution n'est prise.Furieuse, la population manifeste, réclame des têtes. Le 15 septembre, le ministre des transports (opposition) est lynché en pleine rue et la maison du directeur du port - l'un des principaux financiers du clan présidentiel - est incendiée. Deux ministres en première ligne (transports et environnement) sont limogés, tandis qu'est " suspendu" le directeur du port.Devant l'ampleur des événements, Trafigura réagit. Le 30 août, elle dépêche à Abidjan son directeur Afrique, Jean-Pierre Valentini, pour "aider les autorités dans leur enquête". L'affréteur multiplie les contacts officiels. Le 13 septembre, le ministre de la construction ivoirien réunit les experts de la Sécurité civile française envoyés sur place, ainsi que des représentants de Trafigura. L'atmosphère est lourde, rapporte l'un des convives. "Le représentant de Trafigura était très arrogant. Il contestait les expertises scientifiques et niait le lien de causalité avec les décès. Il nous prenait de haut, assurant que le produit en cause n'était qu'un résidu de nettoyage des cuves après une livraison d'hydrocarbures à Lagos."Le patron de Trafigura lui-même débarque à son tour à Abidjan le 14 septembre. Au cours de son séjour, il rencontre les services du premier ministre ainsi que les ministres des transports et de l'environnement. Il affirme s'être engagé le 15 septembre auprès de la coordinatrice de la cellule de crise à fournir des médicaments et à payer une partie de frais de récupération des déchets. "Une mission humanitaire", souligne un communiqué de la société. "Il est surtout venu pour trouver un arrangement", affirment des sources ivoiriennes. Deux jours après son arrivée, il est pourtant interpellé à l'aéroport, où il s'apprête à prendre un avion pour Paris. A Abidjan, on se demande encore comment ce haut responsable a pu venir se jeter dans la gueule du loup.En offrant son aide pour le transport et le financement des opérations de dépollution, Trafigura aurait reconnu implicitement sa responsabilité. Dimanche 24 septembre, la société le nie. "La cause de la tragédie n'a pas été établie", estime-t-elle dans un communiqué.Entre-temps, des informations émanant du parquet néerlandais ont émis une nouvelle hypothèse considérée comme sérieuse par des chimistes : les déchets d'Abidjan proviendraient d'un raffinage sauvage, effectué en mer dès les mois de mai et juin, au moment où les cours du pétrole atteignaient des sommets. Cette version des faits - une réaction chimique incontrôlée - est corroborée par des analyses effectuées aux Pays-Bas sur des échantillons recueillis à Amsterdam le 3 juillet par le Centre national d'information sur les empoisonnements. Outre la présence d'oxyde de soufre, le document note la présence d'"un résidu qui apparaît lors du raffinage de pétrole brut".Malgré une demande d'immobilisation au port par le Ciapol datée du 21 août, le Probo-Koala a pu quitter sans encombre le port d'Abidjan le 22. Il est bloqué depuis le 25 septembre par Greenpeace et les autorités locales à Paldiski, en Estonie.


Le 1er août, après un grand détour en Estonie et des escales aux Canaries et à Lomé (Togo), le Probo-Koala atteint Lagos (Nigeria), où Trafigura fait une nouvelle et vaine tentative de vidange.
"Les garanties de sécurité n'étaient pas réunies, assure la compagnie. Il est apparu que les prestataires locaux voulaient raffiner ces déchets pour vendre le stock en tant qu'hydrocarbures."


Les logisticiens de Trafigura décident alors d'envoyer le Probo-Koala en Côte d'Ivoire. "C'est l'un des ports d'Afrique occidentale les mieux équipés", plaide le trader. Le site Internet du port autonome de la capitale ivoirienne ne mentionne cependant nullement cette donnée. Le 9 août, dix jours avant l'arrivée du navire en Côte d'Ivoire, une entreprise, "spécialisée dans la vidange et l'entretien des soutes de navire", décroche une autorisation du port pour "récupérer les huiles usagées et les résidus d'hydrocarbures afin d'éviter (...) le déversement accidentel". La Compagnie Tommy, c'est son nom, vient d'être créée et n'a jamais obtenu de contrat de ce type. Son directeur, Salomon Ugborugbo, actuellement incarcéré, est de nationalité nigériane.
Tommy n'a ni les moyens ni les compétences pour faire le travail. Elle n'a obtenu du ministre des transports ivoirien qu'un agrément d'"avitailleur" (approvisionnement des navires), et seulement depuis le 12 juillet. Trafigura, qui dispose d'une filiale sur place, Puma Energy, affirme n'en avoir rien su.
Le 17 août, deux jours avant l'arrivée du Probo-Koala, le trader londonien adresse un courriel à N'zi Kablan, administrateur général adjoint de Puma Energy, et l'avertit de la toxicité de certains composants de sa cargaison : "A cause de la forte concentration en mercaptan sulfuré, le mélange est très odorant et doit être débarqué et traité de façon à éviter toute conséquence sur l'environnement ou problème avec les autorités."
Pour Trafigura, cela démontre bien qu'il s'agit de "résidus de fond de cale" classiques ayant entraîné un excès de mercaptan. Pourtant, les analyses réalisées le 21 août par le Centre ivoirien antipollution (Ciapol), deux jours après l'émanation des odeurs suspectes sur Abidjan, feront apparaître un tout autre résultat. "Il ressort, écrit le Ciapol, que cet échantillon s'apparente à du produit pétrolier (...) très proche de l'essence, avec une très forte teneur en hydrogène sulfuré, substance toxique pouvant, à forte dose, entraîner la mort immédiate en cas d'inhalation."
L'équipe de la protection civile française dépêchée à Abidjan trois semaines après le déversement toxique n'a pas trouvé trace d'hydrogène sulfuré. "Ce gaz très volatil a pu disparaître dans l'intervalle", admet le responsable de l'équipe, qui mentionne les nombreux témoignages de la population sur l'"odeur d'oeuf pourri" très caractéristique de ce gaz.
La société Trafigura a fourni, le 24 septembre, des analyses commandées par ses soins selon lesquelles "aucune trace" d'hydrogène sulfuré n'apparaît. "C'est de l'eau sale", avait-on dit aux chauffeurs des citernes qui déverseront le produit dans Abidjan. Tommy, spécialiste tout neuf de la "vidange", apparaît mieux informé. Le 18 août, son directeur adresse un message écrit à Trafigura précisant que, compte tenu de leur odeur et de leur composition, "un chimiste a conseillé de déverser les déchets chimiques dans un lieu éloigné de la ville - Akouédo - tout à fait apte à recevoir n'importe quel type de produit chimique". Akouédo est un quartier d'Abidjan. Très engageant, M. Ugborugbo assure qu'il "endossera toutes les responsabilités et assurera un bon travail". Son prix défie toute concurrence : 35 dollars le m3, soit vingt et une fois moins cher qu'à Amsterdam.
Avec l'aide de la compagnie Tommy, des autorités portuaires et bientôt du district d'Abidjan (la municipalité), le Probo-Koala accoste presque en fanfare le 19 août : des policiers aux douaniers en passant par les services sanitaires, tous les "corps habillés" l'attendent sur le quai. Le bon de livraison remis aux chauffeurs qui vont répandre la mort se conclut par un encouragement : "Bonne route, et que Dieu vous bénisse."
S'ouvre alors le versant ivoirien de l'épopée, où pointent les soupçons de corruption. Comment Tommy a-t-elle réussi à obtenir ses agréments ? "Tout s'est passé dans des délais record, très inhabituels", dit un familier du pouvoir qui voit dans les multiples courriers échangés "un scénario pour la galerie". "La corruption est si générale, ajoute-t-il, que tout, absolument tout, s'achète, même le droit de faire crever des gens."
La tornade politique consécutive au scandale environnemental ne débute que près d'une semaine après le déchargement du navire. Pendant six jours, la population ignore d'où proviennent les symptômes dont elle souffre. Au pire moment de l'exposition aux gaz, aucune précaution n'est prise.
Furieuse, la population manifeste, réclame des têtes. Le 15 septembre, le ministre des transports (opposition) est lynché en pleine rue et la maison du directeur du port - l'un des principaux financiers du clan présidentiel - est incendiée. Deux ministres en première ligne (transports et environnement) sont limogés, tandis qu'est " suspendu" le directeur du port.
Devant l'ampleur des événements, Trafigura réagit. Le 30 août, elle dépêche à Abidjan son directeur Afrique, Jean-Pierre Valentini, pour "aider les autorités dans leur enquête". L'affréteur multiplie les contacts officiels. Le 13 septembre, le ministre de la construction ivoirien réunit les experts de la Sécurité civile française envoyés sur place, ainsi que des représentants de Trafigura. L'atmosphère est lourde, rapporte l'un des convives. "Le représentant de Trafigura était très arrogant. Il contestait les expertises scientifiques et niait le lien de causalité avec les décès. Il nous prenait de haut, assurant que le produit en cause n'était qu'un résidu de nettoyage des cuves après une livraison d'hydrocarbures à Lagos."
Le patron de Trafigura lui-même débarque à son tour à Abidjan le 14 septembre. Au cours de son séjour, il rencontre les services du premier ministre ainsi que les ministres des transports et de l'environnement. Il affirme s'être engagé le 15 septembre auprès de la coordinatrice de la cellule de crise à fournir des médicaments et à payer une partie de frais de récupération des déchets. "Une mission humanitaire", souligne un communiqué de la société. "Il est surtout venu pour trouver un arrangement", affirment des sources ivoiriennes. Deux jours après son arrivée, il est pourtant interpellé à l'aéroport, où il s'apprête à prendre un avion pour Paris. A Abidjan, on se demande encore comment ce haut responsable a pu venir se jeter dans la gueule du loup.
En offrant son aide pour le transport et le financement des opérations de dépollution, Trafigura aurait reconnu implicitement sa responsabilité. Dimanche 24 septembre, la société le nie. "La cause de la tragédie n'a pas été établie", estime-t-elle dans un communiqué.
Entre-temps, des informations émanant du parquet néerlandais ont émis une nouvelle hypothèse considérée comme sérieuse par des chimistes : les déchets d'Abidjan proviendraient d'un raffinage sauvage, effectué en mer dès les mois de mai et juin, au moment où les cours du pétrole atteignaient des sommets. Cette version des faits - une réaction chimique incontrôlée - est corroborée par des analyses effectuées aux Pays-Bas sur des échantillons recueillis à Amsterdam le 3 juillet par le Centre national d'information sur les empoisonnements. Outre la présence d'oxyde de soufre, le document note la présence d'"un résidu qui apparaît lors du raffinage de pétrole brut".
Malgré une demande d'immobilisation au port par le Ciapol datée du 21 août, le Probo-Koala a pu quitter sans encombre le port d'Abidjan le 22. Il est bloqué depuis le 25 septembre par Greenpeace et les autorités locales à Paldiski, en Estonie.

Philippe Bernard, Jacques Follorou et Jean-Pierre Stroobants
Philippe Bernard, Jacques Follorou et Jean-Pierre Stroobants

Wednesday, September 27, 2006

Statement from Trafigura Beheer BV re the Probo Koala

Cote d’Ivoire, 19 September 2006

Following inaccurate media reports based on rumour, Trafigura Beheer BV (Trafigura) would like to provide factual information on the Probo Koala, following the discharge of the residue washings (slops) from its gasoline cargo in Abidjan, Cote d’Ivoire, in August 2006.

Trafigura is very concerned about the reports regarding the health of the Abidjan population and is actively seeking ways of assisting the authorities in any and every way that it can. Senior executives from the company are in Abidjan and are working with the authorities there to try to establish what happened after the slops were unloaded.

Trafigura has a stringent policy on the disposal of any waste, according to international conventions, and respects and adheres to all relevant requirements. The slops from the Probo Koala were handed over to a certified local Abidjan slops disposal company, Compagnie Tommy, following Trafigura's communication to the authorities of the nature of the slops, and a written request that the material should be safely disposed of, according to country laws, and with all correct documentation.

Cargo of the Probo Koala
The Probo Koala was carrying gasoline blend stock under a time charter to Trafigura. It is used for floating storage, that is the receiving vessel for cargoes of gasoline blend stock. Cleaning with caustic soda takes place each time it receives a new load of gasoline blend stock. After the cleaning the residue washings (slops) are transferred to the ship’s slop tanks.

The vessel stopped in Amsterdam with the objective of discharging its slops, on its way to collect additional gasoline blend stock from Paldiski, Estonia for delivery to Nigeria. The reason it did not ultimately do so is because the waste disposal company in Amsterdam wanted to renegotiate its original contract. Trafigura was therefore forced to discharge the slops elsewhere, at a location that could both take the slops, and fit in with the vessel’s route. Delays in Amsterdam would have caused further delays in the ship’s schedule (please see further information below).The waste disposed of in Abidjan was the residue washings (slops) from the slop tanks of the Probo Koala, the result of washings from gasoline blend stock delivered to the vessel, as described above. The technical classification of these slops is Basle slops.

Disposal of the slops
These slops were not rejected by any port, including the Port Authorities in Amsterdam. The environmental authorities in Amsterdam became involved only when Trafigura took the decision to reload the slops from the barge of the Dutch waste disposal operator, Amsterdam Port Services (APS), as a result of APS’s desire to renegotiate contractual terms. The Port Authorities then contacted APS to confirm requirements. These concerned whether the slops could legally be reloaded without being technically considered to be an export from Holland (which would necessitate an export permit), and under environmental regulations. The Port Authorities gave their permission to reload the slops on the Probo Koala, subject to Trafigura providing confirmation that these slops were subsequently disposed of appropriately.

Why Abidjan
When APS analysed a sample from slops loaded onto its barge prior to disposal it tried to renegotiate the original agreement made with Trafigura. Trafigura then took the decision to dispose of the slops elsewhere on the ship’s route as any delay in leaving Amsterdam would have a knock-on effect, causing further delays in the ship’s schedule. It would also result in significant financial time penalties – for example, an additional penalty of 250,000 dollars for the next voyage to Paldiski, Estonia. Following completion of its voyage to Nigeria, the most appropriate place, in terms of geography and ability to deal with these slops was Abidjan. Abidjan is considered to be one of the largest and better equipped ports in West Africa.

Ends

For further information please email info@trafigura.com

Tuesday, September 26, 2006

Les déchets toxiques d'Abidjan proviendraient d'une "raffinerie flottante"


Les déchets toxiques d'Abidjan proviendraient d'une "raffinerie flottante"

LEMONDE.FR avec AFP, Reuters et AP 24.09.06 16h13 • Mis à jour le 24.09.06 17h06


Le Probo Koala n'était probablement pas un simple réservoir flottant de pétrole brut, ni ses déchets de simples eaux de vidange. Le navire a raffiné en pleine mer du pétrole brut, en mélangeant soufre et naphte, un processus dont les résidus toxiques ont causé la mort de sept personnes à Abidjan (Côte d'Ivoire), selon une enquête du parquet néerlandais sur l'affréteur du navire. C'est ce qu'a affirmé samedi 23 septembre le quotidien néerlandais de centre gauche De Volkskrant.

Selon une reconstruction technique du parquet dont le journal néerlandais a pris connaissance, le Probo Koala aurait fait fonction de "raffinerie flottante" pour transformer 70 000 tonnes de pétrole brut en essence, en pleine mer, en mai et juin derniers, au moment où les cours de l'essence étaient au plus haut.
Le Probo Koala a notamment reçu trois cargaisons de 28 000 tonnes de naphte en provenance des Etats-Unis, selon De Volkskrant. L'opération de transformation, qui consistait à libérer le soufre compris dans le naphte à l'aide de substances dérivées de la soude et d'une substance adjuvante "normalement utilisée exclusivement dans les raffineries", aurait généré un bénéfice de 8 millions de dollars (5,5 millions d'euros) pour Trafigura Beheer, l'affréteur du navire, poursuit le quotidien.Un porte-parole de Trafigura Beheer a jugé ces informations "complètement inexactes".

CINQ ENQUÊTES EN COURS

Le raffinage aurait surtout mené à la constitution de déchets très toxiques, parmi lesquels plus de 72 000 kilos de résidus à base de soufre, qui ont pollué la ville d'Abidjan depuis leur déversement fin août. Outre les sept morts, 66 personnes ont été hospitalisées, parmi 60 000 qui ont consulté un médecin.
L'affaire des déchets toxiques d'Abidjan semble loin d'être refermée. Aux Pays-Bas, quatre enquêtes ont lancées au cours des derniers jours, par le parquet, la ville d'Amsterdam, le ministère des transports et celui de l'environnement. La question centrale est de savoir si les autorités auraient dû, et pu, empêcher le Probo Koala d'exporter ses déchets.
En Côte d'Ivoire, la crise qui a mené au remaniement du gouvernement n'est pas plus achevée. Lundi, au cours d'une session extraordinaire de l'assemblée nationale, les ministres ivoiriens de l'environnement et des transports, tous deux limogés à la suite du scandale, et les directeurs des douanes et du port, ainsi que le gouverneur du district d'Abidjan, suspendus de leurs fonctions, devront se justifier. Les débats seront retransmis sur la télévision publique.
Les pratiques de l'affréteur du "Probo-Koala" au coeur de l'enquête

LE MONDE 26.09.06 15h02 • Mis à jour le 26.09.06 15h02 BRUXELLES CORRESPONDANT

Découvrez le Desk, votre écran de contrôle et de suivi de l'information en temps réel. Décrite par des experts comme "primitive", "très inhabituelle", "irresponsable sur le plan environnemental", voire "criminelle", la méthode consiste à libérer le soufre contenu dans le naphte, à l'aide de dérivés de soude et d'un produit catalyseur utilisé dans les raffineries, l'ARI-100 EXL. L'essence ainsi produite n'était sans doute pas exempte de soufre et ne pouvait donc être commercialisée en Europe. Elle pouvait, en revanche, l'être en Afrique, estiment les autorités judiciaires néerlandaises, qui relèvent que le navire s'est rendu au Nigeria début août. Ce sont les quelque 70 tonnes de résidus de l'opération qui auraient entraîné des effets désastreux en Côte d'Ivoire, ce que Trafigura dément.
Alors qu'elle semblait, avant ces révélations, admettre une part de responsabilité dans la pollution, la société a changé d'avis le lundi 25 septembre, affirmant qu'elle disposait de tests indiquant la "teneur toxique très faible" de ses "eaux de nettoyage". Les résultats proviennent du laboratoire Saybolt, à Rotterdam, dont un des responsables, Jan Heinsbroek, a toutefois émis des doutes sur les échantillons qu'il a expertisés.
Trois enquêtes sont désormais ouvertes aux Pays-Bas pour élucider l'affaire. Le parquet, la ville d'Amsterdam et le ministre des transports tentent de déterminer dans quelles circonstances le navire a pu quitter le pays alors que ses soutes ne contenaient sans doute pas que des résidus issus d'un nettoyage, comme l'a encore affirmé Trafigura, à Londres, lundi 25 septembre. Attaqué par l'opposition travailliste et écologiste, le secrétaire d'Etat Pieter Van Geel s'oppose à l'ouverture d'une enquête indépendante.
Greenpeace a décidé d'agir contre le Probo-Koala. Un de ses navires a bloqué, lundi 25 septembre, le bateau dans le port de Paldiski, en Estonie.
Jean-Pierre Stroobants