L’ex-DG des Affaires maritimes accuse Anaky et Gossio
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Interview : Le Colonel Tibet Bi Ballou Jean Christophe, ex-Directeur Général des Affaires maritimes et portuaires, dénonce la légèreté et la complicité active de MM. Anaky Kobena et de Marcel Gossio. Entretien.
Pouvez-vous nous expliquer la procédure classique d’enlèvement des eaux usées?
Je voudrais intervenir à deux niveaux. Mais avant cela, je voudrais indiquer que nous sommes en train de vivre un scandale sans précédent. Je voudrais l’assimiler à une organisation criminelle. Un crime organisé pour des profits mercantiles à l’avantage de quelques individus véreux. Il faut dire que l’opération d’enlèvement des eaux usagées qu’on appelle les slops est une opération classique. Ce sont des opérations régulières dès l’instant où les eaux de ballasts s’usent, les huiles dans les moteurs deviennent pâteuses à l’intérieur d’un navire qui navigue pendant plus de cinq mois dans les eaux maritimes à un moment donné de son parcours. Il faut donc les remplacer par une opération de récupération de ces eaux mélangées à des huiles et qui sont non toxiques. Les navires dans un port donné essaient de se débarrasser de ces déchets avant de poursuivre leur course conformément à la convention internationale MARPOL. Jusque-là ce sont des opérations classiques qui se font dans tous les ports. A coté de cela, il y a les déchets toxiques qui sont récupérés dans les ports à certaines conditions. Il faut que ces ports disposent de centres de déballastage, ce que la Côte d’Ivoire ne possède pas. Je ne pense pas qu’en Afrique de l’Ouest il existe un pays qui possède une station de déballastage. Ceci dit, le navire « Probo Koala » ne doit pas être dans nos eaux encore moins au port d’Abidjan.
Que savez-vous exactement sur cette affaire de déchets toxiques ?
En tant que spécialiste des questions maritimes, sans être au parfum des derniers développements du dossier, je peux quand même par expérience donner mon avis sur cette question d’autant plus que j’étais l’Administrateur des Affaires maritimes et portuaires. Je connais à peu près le processus. Je voudrais indiquer avant tout que dans la première semaine du mois de juillet, en tant que Directeur général des affaires maritimes et portuaires, j’ai été contacté téléphoniquement par mon collègue de Dakar qui disait qu’un navire est en train de se balader sur les eaux africaines avec à son bord des produits qui sembleraient être toxiques dont il veut se débarrasser. J’avais alerté le Directeur de l’Autorité maritime en lui demandant d’être vigilant et d’alerter les points de contacts ISPS, les inspecteurs maritimes, du mouvement de ces navires dans les eaux territoriales. Le 24 juillet, j’ai été débarqué par un mouvement de grève déclenché contre ma personne. Les agents de la marine ont demandé mon limogeage pur et simple. La suite est que le navire a pu entrer dans le pays sans qu’aucune autorité ne soit saisie et qu’aucune action ne soit menée à l’encontre du navire. Il a pu sortir du pays sans être inquiété.
De ce qui précède, êtes-vous en mesure en tant que spécialiste de nous donner les noms des personnes impliquées dans cette affaire ?
Quand les navires arrivent dans les eaux territoriales, ils contactent en premier lieu un agent consignataire qui s’occupe du séjour du navire dans le pays hôte. Dans notre cas ici c’est la société WAIBS. Je ne pense pas que cette société soit vraiment responsable de ce scandale. D’après ce que je sais, le navire est arrivé le 19 août 2006 et a débarqué son chargement dans la nuit du 19 au 20 août 2006. Ce qui est interdit dans la réglementation sur les marchandises dangereuses. On ne débarque pas nuitamment des produits dangereux mais on le fait dans la journée. Et ces produits sont escortés par la douane, les Affaires maritimes et la Capitainerie du port jusqu’à la destination finale. Mais le «Probo Koala» est parti comme il est venu avec la complicité des autorités portuaires, maritimes, du ministre des Transports Anaky Kobena qui a donné son agrément à la compagnie TOMMY, chargée de l’avitaillement. TOMMY est en principe une structure d’avitaillement spécialisée dans la vidange, le soutage et l’entretien des navires. Elle est chargée de transporter vers une station de recueillement appropriée les huiles usagées mélangées avec de l’eau. Dans ce cas d’espèce, ce sont des déchets toxiques et la compagnie TOMMY n’était pas habilitée à diriger l’opération. Mais malgré cela, TOMMY a eu l’agrément. Le Port autonome qui savait la teneur de la cargaison a laissé quand même ce navire accoster et être débarrassé de ses substances. Malgré le fax qu’a fait parvenir le commandant du navire le 17 août sur la teneur des produits que contenait le navire, les autorités portuaires n’ont pas été alarmées et le navire a accosté. Vous comprenez donc que c’est une complicité et ce genre de choses ne se fait pas gratuitement. Il ne faudrait pas qu’on nous raconte des histoires.
Une affaire de gros sous alors ?
Pour ce genre d’opérations, ce sont des milliards. Souvenez-vous dans des années antérieures au Cameroun, il y a eu un volcan qui avait fait éruption. En réalité, ce n’était pas le volcan qui s’est réveillé. Des déchets toxiques à cette époque avaient été déversés dans le cratère du volcan éteint depuis des siècles. Par effet d’ébullition le volcan s’était réveillé. Allez-y voir, dans les environs, ce que la population vit. Dans cette affaire, il y a une complicité avérée des autorités portuaires, le ministère des Transports et la Douane éventuellement. Parce que la Douane est affrétée au chargement et au dédouanement des navires.
La compagnie TOMMY n’était donc pas habilitée à décharger le navire «Probo Koala»?
C’est évident, la compagnie n’est pas habilitée à le faire parce que nous n’avons pas de station de déballastage. C’est même une arnaque parce que l’objet du contrat a été dévié par la compagnie. Il s’agissait au départ de vidange des eaux usées domestiques et on se retrouve avec des déchets hautement toxiques. Nous pouvons accepter les produits à faible teneur toxique ou tout simplement des eaux usées et l’huile de graissage des moteurs des navires. On peut les couler n’importe où, ce n’est pas nocif, il n’y a pas de problème. Mais nous n’avons pas de station de traitement. Je vous prends un exemple. Même du temps où la Côte d’Ivoire était propriétaire de navires, quand nous avons des navires à travers la SIVOMA et la SITRAM, le déballastage de nos navires ne se faisait pas dans le port d’Abidjan mais dans des ports spécialisés en Europe. Je ne sais pas pourquoi on accepte ces produits quand bien même nous savons que nous ne disposons pas de station pour traiter ce genre de produits. Qu’ils soient nocifs ou pas, nous n’avons pas de station de déballastage.
A y voir de très près, le navire a sûrement présenté des documents fiables à l’administration maritime qui lui permettaient de décharger son contenu…
La compagnie TOMMY a présenté toutes les autorisations qu’elle a obtenues de l’administration ivoirienne. Le commandant du navire «Probo Koala» a simplement signifié le 17 août par fax aux autorités ivoiriennes que le produit qu’il transporte était nocif et qu’il fallait le traiter au préalable avant de pouvoir le déverser quelque part. Car la substance est dangereuse, nocive pour l’environnement et pour la santé. Il l’a précisé dans son document. Je voudrais indiquer que le 17 août déjà, le navire était dans nos eaux territoriales. Il ne devait pas être loin de San-Pedro, il ne devait pas être loin d’Abidjan. Il a attendu d’être au nez et à la barbe des autorités ivoiriennes pour dire : «Bon je suis déjà là avec mon produit nocif». Figurez-vous, un navire qui a été refoulé dans six ports, y compris le grand Nigeria qui rejette un navire ! Ce qui signifie que les conditions dans lesquelles nous l’avons accepté devraient être alléchantes. Je dois ajouter des conditions individuellement alléchantes mais collectivement nuisibles, pour qu’on accepte d’accoster un navire qui annonce son arrivée le 17 août par fax. Voilà le problème. Si le navire a accosté le 19 août c’est que le 17, il n’était pas loin. Et on lui répond que la décharge d’Akouédo est prête à accueillir ces déchets. Sachez qu’un navire n’entre pas comme cela dans le canal. Il faut un remorqueur et une pilotine. Les pilotes le transportent jusqu’au quai pétrolier. Ce qui signifie que c’est une entrée officielle. C’est pourquoi, je parle de la complicité du Port. Cette complicité s’explique par la diligence avec laquelle la société TOMMY, qui venait d’obtenir son agrément, a été autorisée, le 9 août à travailler dans l’enceinte du Port. On lui donne un agrément, un numéro 1460, moins d’un mois après l’obtention de son agrément signé par le ministre des Transports, M. Anaky Kobena. A la conférence portuaire, le consignataire a dû certainement présenter le navire qui arrive sur Abidjan. Tout de suite, le bateau arrive dans la nuit du 19 août et décharge sa cargaison. On sait que c’est le port qui autorise l’ouverture des cales. Le règlement d’exploitation du Port est clair. Pour certains produits il y a des gels d’ouverture des cales. Le règlement d’exploitation du Port sur les marchandises dangereuses existe. Comment les traiter. On ne transporte pas les marchandises dangereuses la nuit. Ce qui n’a pas été respecté ce jour-là. . Je dénonce une légèreté du Directeur de la sécurité maritime, le Commandant Tanoh, qui est en charge de l’état de navigabilité du Port et de contrôler son contenu. La cellule ISPS au sein du Port, sous la responsabilité des commandant Moussako et Blédé, n’a pas fonctionné. En plus, ces produits ne sont pas nomenclaturés à la convention de Bâle. Et quelle était l’urgence pour qu’on se débarrasse de cette cargaison la nuit ? Le CIAPOL, qui est saisi, demande l’arraisonnement du navire pour examiner les produits à son bord. Parce que les gens avaient déjà commencé à se plaindre. Le prélèvement du CIAPOL indique que la teneur en produit toxique est très élevé par rapport à la normale. Donc le Directeur général du CIAPOL dit de laisser le navire quelque temps pour sa mise en examen. Le Port rétorque que le CIAPOL n’est pas la structure habilitée à arraisonner un navire. Et le 20 août, on fait partir le bateau en catimini. Voyez-vous, à cette période, je n’étais plus aux affaires. J’étais la seule autorité qui pouvait interdire l’appareillage du navire à part les autorités judiciaires. Je n’étais plus là, on a mis un douanier à ma place qui n’était pas assermenté pour cette tâche. Donc le navire a pu partir tranquillement. Chose curieuse, c’est pendant la période de grève des agents maritimes, c'est-à-dire ma période de limogeage du 24 juillet au 3 août 2006 que toutes les autorisations ont été signées par le ministre de tutelle Anaky Kobena.
Sûrement qu’ils ont montré un document de bord assez satisfaisant ?
Bien avant l’arrivée d’un navire, on envoie un fax sur lequel il est indiqué le nom du navire, les membres de l’équipage, le contenu. Pour les marchandises dangereuses, on met en place une supervision maritime, douanière et du Port. Le produit est convoyé de jour dans un parc à produits dangereux sous escorte douanière. Pour ce navire, je n’ai rien reçu comme fax et pire, le processus normal en cours n’a pas été respecté. Dans le rapport sur le document de bord qui est un document de connaissement du navire, il est inscrit que le navire est vide et qu’il n’y a aucune cargaison à bord. Or l’armateur a signalé à la compagnie TOMMY qu’il transporte des déchets à forte teneur toxique.
Deuxièmement le Port dispose d’un conseil technique chargé justement de l’application du code de sécurité ISPS. Il y avait une possibilité pour les agents d’effectuer un contrôle à bord du navire et constater qu’il transporte des substances nocives, des déchets toxiques ou des armes de destruction qui pourraient entrer frauduleusement dans le port mais ça n’a pas été fait. L’inspection ISPS du port n’a pas été faite. Et c’est toute cette complicité que je dénonce.
Il y a donc eu faiblesse de procédure ?
Il ne faut pas tourner autour du pot. Ce n’est pas une faiblesse, ce n’est même pas une légèreté, c’est un crime. Et allez demander pourquoi cela au Port et au ministère des Transports. Il faut que Marcel Gossio et Anaky Kobena s’expliquent clairement.
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